e|m|a|nifeste1. L’art n’est pas sans enseignement, mais l’enseignement reste sans art. 2. L’école d’art s’assigne cette tâche d’enseigner l’art dont l’impossibilité même fonde la nécessité. 3. Pour le pire et le meilleur, l’école d’art aura été à l’école de l’art — dans son contemporain — qui lui a fait abandonner toute spécificité technique, tout outil ou instrument privilégié, toute histoire orientée, toute division académique des arts. 4. Tombent pour l’art toutes ces oppositions dont notre langage fournit encore les notions : forme/matière, manuel/intellectuel, sensible/intelligible, expression/contenu, projet/réalisation, art/technique, pratique/théorie… 5. Ce qu’enseigne l’enseignement de l’art et qui paraît peu ailleurs : implication, responsabilité, plasticité. 6. Dans une école d’art, l’exigence fait curseur sur la ligne d’engagement, en tant qu’expérience, entre passage à l’acte et désoeuvrement. 7. Une école d’art est une école — schôlè — lieu du loisir, du jeu, de l’expérience, où l’on ne travaille pas, où il advient que l’on ne fasse rien. 8. Une école d’art est d’art : on y expérimente-projette-conçoit-construit-produit-expose. On fait, on défait, on refait. 9. Une école d’art est le lieu du partage de l’expérimentation, de la production, de la transmission. 10. La recherche dans une école d’art prend les formes de l’expérimentation, de l’heuristique, de la recherche et développement. Du bricolage idiosyncrasique à l’invention technologique, en passant par l’investigation spéculative, ses modalités s’inscrivent peu dans la définition universitaire. 11. L’évaluation collégiale du cheminement de qui (s’)expose s’appuie sur des tours et détours, des ratés et des réussites, des fulgurances et des errements, tout autant que sur des traversées indisciplinées qui ne peuvent être réduites à la scolarité. 12. Un diplôme de fin d’études ne marquera jamais — au titre d’un savoir acquis ou d’une compétence reconnue — la rentrée dans l’ordre des artistes. A la différence des architectes, des avocats, des médecins, il n’y a pas d’ordre des artistes. 13. Qui enseigne dans une école d’art se fonde impérativement sur sa pratique — artistique, technique, théorique. Cette activité détermine l’actif de la transmission et de l’expérimentation en partage. 14. L’enseignant dans une école d’art peut-il être professeur? saurait-il devenir un maître? 15. La nécessaire activité hors enseignement — artiste, critique, designer, écrivain, scénographe, cinéaste, historien, musicien, anthropologue, juriste — ne trouve qu’une unique et générique caractérisation dans l’université où «chercheur» ne risque pas moins que faire cesser tout exercice. 16. L’articulation organique ou collaborative des artistes-enseignants redéfinit dans le temps les solutions de continuité de la plate-forme didactique. 17. Trois dimensions déploient l’art en son école : l’esthétique, le technique et l’économique. 18. Chacune des dimensions — artistique, technique, économique — se divise entre percept et prospect, surimprimant l’école de l’art et l’école du regard. L’écoute par là s’en trouve bouleversée. 19. La dissémination numérique, et par elle la convergence des technologies de l’information, de la communication et du multimédia ont repartitionné les champs des arts entre eux et refondé leur économie générale. 20. Qu’une même machine concentre tant d’instrumentations techniques et de modalités d’écriture – texte, image fixe et mobile, son, musique, 3D, virtuel, internet – tout en imposant son interface lumineux entre le maître et l’étudiant n’est pas sans bouleverser tout le rapport de l’enseignement. Seule, parfois à son corps défendant ou entraînée dans le mouvement moderne, l’école d’art semble en avoir pris la mesure et reçu la mutation. 21. L’incessant renouvellement technologique par quoi la société néo-industrielle se survit de crise en crise crée un appel d’air continu pour la recherche et l’innovation, alors qu’elle induit à refonder l’enseignement comme formation permanente avant et après le temps même de la pratique sociale. Autant le travail que l’éducation ne peuvent plus être contenus aux zones et aux durées admises jusque-là. 22. Dans l’école sans âges, l’enjeu économique consiste pour chacun à ré-inventer son activité sociale dans une plasticité nomade pour résister à la flexibilité de l’emploi et à la délocalisation. 23. L’art, dans sa crise moderne, autant que l’école, par nécessité, ont fouillé les rebuts, récupéré les objets trouvés, retourné l’ordre de la production, détourné la fonction des instruments, déplacé les places assignés, assemblé les contraires, collé le réel sur le symbolique. En cela, l’art, pour faire école, aura anticipé une écologie radicale. 24. Dans une école d’art, où rien n’est donné d’avance : aucune matière, aucun instrument, aucun code, aucune langue, il reste à inventer son véhicule pour trouver sa voie, développer une méthode pour éployer sa voix. L’École Média Art Fructidor se constitue comme réserve pour 1. la transmission, 2. l’expérimentation et 3. la production. (Encore : enseignement, recherche et création s’y déploient, en un même lieu et temps, ensemble et séparément.) L’école ouvre l’espacement d’un jeu, la temporalité d’un apprentissage et le risque d’un questionnement. L’art ouvre la puissance (et le défaut) de la technique, la virtualité de l’économie et le battement de l’esthétique. La médiation entame tout oeuvrement comme intervalle courbe sans autre objet ou fin que la mémoire d’un mouvement. (Dominique Pasqualini, 2007) |
CadreLa Lettre des écoles supérieures d’artLettre N°07 • avril 2012 (PDF)
**************************************************** Lettre N°05 • mars 2011 (PDF)
**************************************************** lettre N°04 • 3 décembre 2010 (PDF)
**************************************************** lettre N° 03 • 28 Juin 2010 (PDF)
**************************************************** lettre N° 02 (PDF) Normaliser ou inventer ? |
ContextePaul Valéry – sur les diplômes et le baccalauréat |
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