Critique d’art / Etudes de philosophie et d’histoire de l’art à l’université de Grenoble et à l’EHESS (Paris) / Il a récemment publié une étude des Furniture Sculpture de John Armleder et un long entretien avec Stephen Prina, dans Retour d’y voir, (numéros 1 et 2), (revue du mamco). Il a également réalisé des entretiens avec John Armleder, Gianni Motti, David Antin, Jean-Jacques Lebel, Kendell Geers, etc. et publié des textes dans diverses revues (Parachute, Art Présence, Frog…) et catalogues d’exposition.
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Le readymade selon John Armleder
Nicolas Exertier : Les Furniture Sculpture utilisent beaucoup le readymade. Mais le readymade est-il une dénomination adéquate pour qualifier votre travail ? Qu’est devenu le ready-made aujourd’hui ?
John Armleder : Lorsque l’on parle de readymade, on parle du « breakthrough » duchampien d’une part et d’autre part d’un moment, en l’occurrence le nôtre, où cette pratique est devenue normale. Il est difficile de ne pas envisager des choses qui ne sont pas des readymades sous un regard aiguisé par l’existence du readymade tant les catégories duchampiennes sont désormais prégnantes. À l’extrême, un paysage classique est un readymade assisté par la reproduction d’une peinture et le résultat des courses c’est qu’il n’y a que des readymades vaguement assistés, vaguement superposés à d’autres. On prend conscience que la culture n’est jamais faite que d’une livraison surabondante de readymades dont on doit faire le tri. Le produit de ce tri, c’est l’œuvre « inventée » par l’artiste. C’est dire que l’artiste n’invente pas grand-chose à part le fait que, par hasard, il se trouvait à tel ou tel endroit, à ce moment précis, avec les moyens qu’il a et le public qu’il a. Mais ce n’est pas lui qui détermine ces choses ! On pourrait même se demander si l’artiste n’est pas, lui aussi, fondamentalement un readymade. Pas complètement sans doute ! C’est difficile à dire… savoir dans quel ordre vont les choses tient du problème métaphysique. Mais, de toute façon, c’est également le cas dans la vie de tous les jours : on ne préside pas à notre existence, pas plus que les objets que l’on va utiliser ne sont de notre décision. [...]Ce qui joue ici en notre faveur, c’est le mythe du geste de l’artiste, de la main de l’artiste.
Nicolas Exertier : L’histoire de l’art ?
John Armleder : Oui. Cette chose qui joue hors champ et qui charge de sens, sans que l’on sache très bien comment, chacun de nos gestes ! Tout le monde semble désirer que l’objet d’art soit pérenne et inviolable ; cela conduit à accorder encore une importance parfois exagérée au point de vue de l’artiste en dépit de toutes les tentatives déconstructrices des trente dernières années. Le point de vue du curator, du critique ou du regardeur n’a pas moins de valeur que celui de l’artiste. Après tout, ce sont sans doute les faiblesses (naturelles, humaines) conjuguées des uns et des autres qui font l’art.
Extrait de “Horror Vacui”, (Entretien de Nicolas Exertier avec John Armleder réalisé le 18 octobre 2006 au mamco (Genève)). La version complète de cet entretien a été publiée dans Art Présence n°60, octobre-novembre-décembre 2006, pp.2-19